Derniers remords avant l'oubli

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Hélène, Pierre et Paul se sont aimés et ont vécu heureux ici il y a vingt ans. Mais maintenant qu’ils ont refait leur vie, Hélène souhaite vendre la maison dont ils sont tous trois propriétaires, mais dans laquelle Pierre vit encore seul. Une visite est décidée : l’occasion, officiellement, de régler l’affaire, mais aussi sans doute d’exprimer ou de se créer d’ultimes remords. Ce sont les retrouvailles de gens qui se connaissent bien, peut-être trop bien, tendus entre le passé qui ressurgit et le présent que matérialisent sur scène de nouveaux visages — ceux d’une femme, d’une fille, d’un mari, pièces rapportées cherchant vainement leur place dans l’échiquier du drame. Comment parler à ceux que l’on a aimés, et qui à présent nous exaspèrent ? Comment parler à quelqu’un que l’on n’a plus vu depuis une vingtaine d’années ? Comment parler à l’ex-femme de son mari actuel ? Comment parler, tout simplement. C’est cette question que Jean-Luc Lagarce adresse à ses personnages, à son public. La langue se cherche elle-même, entre prosaïsme et poésie, brassant doutes et redites en une cadence envoûtante, mais loin de toute gratuité formelle : communiquer est avant tout un combat, un duel à mort où l’on n’a pas le droit de perdre, où chaque mot est choisi avec une précision tranchée, car l’erreur serait fatale. Et pourtant, l’essentiel se loge peut-être dans le silence qui suit l’aveu, ou dans un éclat de rire.

Les personnages de Lagarce sont des êtres de désirs. Derrière la question de la vente, le trio aspire tout autant à « faire le point », retrouver un terrain d’entente, rendre justice au passé. À l’arrière-plan de ces retrouvailles à couteaux tirés flotte le souvenir des jours heureux passés dans cette même maison, espace à la fois physique et symbolique où les temporalités se brouillent, amenant Hélène, Pierre et Paul à se confronter, chacun à leur manière, aux vestiges d’une tendresse disparue. Sauront-ils la raviver et restaurer une forme de dialogue ? Ou devront-ils abandonner définitivement la partie et se résoudre à l’oubli ? Quelle que soit l’issue de cet après-midi, ils se seront du moins efforcés de faire renaître une parole sans céder à la tentation d’une colère taciturne, plus dangereuse encore.

Spectacle soutenu par l'a-Ulm, association des élèves, anciens élèves et amis de l'École normale supérieure https://www.archicubes.ens.fr