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Journée préparatoire du Réseau 2 - Modes de jouir contemporains

Le 28 mars 2024 de 09:00 à 15:30
Maison des Associations Internationales, 1050, Ixelles Belgique
Réseau 2

Description

Modes de jouir contemporains

Lacan énonce, en 1970, la « montée au zénith social de l’objet (…) petit a » [1] pour désigner la conséquence du discours capitaliste et repérer ses effets sur les parlêtres modernes, sur les symptômes dont ils témoignent.

L’expansion du champ des addictions est un exemple paradigmatique des effets de ce discours. Pour autant, ce n’en est pas l’unique illustration : la prise des corps par l’angoisse, les plaintes itératives d’épuisement, le débranchement des idéaux et les désenchantements subjectifs constituent quelques déclinaisons du malheur des sujets « hypermodernes désinhibés, désemparés, déboussolés »[2].

Divers phénomènes accompagnent ces nouvelles modalités, caractérisant l’époque de « l’Autre qui n’existe pas », tels des modes de jouir particuliers appelés à tenir lieu de socle communautaire, la destitution du savoir au rang de semblant et l’émergence d’un relativisme généralisé, la défiance envers toute forme de limitation ou encore la production incessante d’évaluations, supposées orienter la production d’autres objets, protocoles ou thérapeutiques répondant toujours plus aux besoins et aux « troubles » de chacun.

En effet, le discours capitaliste se spécifie de ne plus impliquer la perte de jouissance comme condition du lien social : « le manque-à-être – qui signe le propre de l’humain – est substitué par un manque-à-avoir et donc par une économie du toujours plus (…). Dans ce tour de passe-passe (…) ce qui s’efface, c’est le désir. Au pays de l’illusion, le désir est mort, vive la jouissance ! » [3]. Cette course incessante à l’avoir s’articule à la prolifération des « objets prêts-à-jouir » toujours disponibles et remplaçables.

Parmi les conséquences de la prégnance de ce discours, J.-A. Miller évoque en 2017 une « psychose civilisationnelle normale », traduisant ainsi la disparition d’une « prohibition de la jouissance au niveau social » [4].

Il est aussi à noter qu’en 2004, J.-A. Miller rappelait déjà que la psychanalyse « inventée pour répondre à un malaise dans la civilisation », avait « frayé la voie à ce qui se manifestait (…) comme une libération de la jouissance », qu’elle avait « fait trembler les semblants sur lesquels reposaient les discours et les pratiques » et, à ce titre, directement contribué « à installer l’objet petit a au zénith social ». Nous avons affaire désormais, disait-il, « aux conséquences de ce succès sensationnel » [5].

Le singulier et le collectif en institution

Nous sommes nécessairement amenés à rencontrer ces conséquences dans notre travail en institution, sur le plan clinique cette fois, où les suppléances des bénéficiaires peinent à être compatibles avec le lien social. Aussi, dans ce monde où « l’illimité est devenu un signifiant-maître » [6], il apparaît nécessaire de prendre l’économie de la jouissance comme boussole.

Cela comporte deux aspects particuliers au moins. D’une part, l’institution, en tant que « formation humaine », « a pour essence, et non pour accident, de réfréner la jouissance » [7]. D’autre part, rien ne nous autorise à penser que nous ne sommes pas, nous-mêmes, des « sujets hypermodernes » concernés par certains effets de cette libéralisation de la jouissance.

Dès lors, face au « grand désordre dans les structures traditionnelles de l’expérience humaine » [8], nos institutions restent-elles à même de faire frein aux modalités contemporaines de la jouissance ? Comment s’y manifestent les malheurs et phénomènes modernes au un par un de nos pratiques cliniques ? Comment les repérons-nous et les lisons-nous ? De quelles inventions témoignent nos « bénéficiaires », à défaut de routines qui tiennent ? Comment tentons-nous d’y répondre quand les modes de jouir attestent d’une autonomie radicale et de ravages mortifères? Comment l’usage des repères de la psychanalyse contribue-t-il à nous permettre « de surmonter les conséquences réelles qui se produisent du fait de son exercice depuis un siècle ? » [9].

Comment concevons-nous désormais l’articulation du particulier, voire du singulier, et du collectif ? Enfin, comment assumons-nous, à l’ère de l’évaluation de tout « ce qui marche », d’inscrire notre travail en référence à la psychanalyse, qui « ne peut avoir d’autre principe (…) que « ça rate » » [10] ?

Voilà quelques questions que nous vous proposons de mettre au travail pour notre prochaine journée du Réseau 2 : « Modes de jouir contemporains : le singulier et le collectif en institution».

 

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[1] Lacan, J., Radiophonie, p. 414.

[2] J.-A. Miller, Une fantaisie, conférence en Comandatuba, IVe congrès de l’AMP, 2004, Bahia, Brasil, disponible en ligne : https://2012.congresoamp.com/fr/template.php?file=Textos/Conferencia-de-Jacques-Alain-Miller-en-Comandatuba.html

[3] J. Lacan, Le Séminaire XVII (1969-1970), L’envers de la psychanalyse. Formalisé lors d’une conférence de 1971 à Milan (Conférence à l’université de Milan du 12 mai 1972. Cf. Lacan en Italie (1953-1978), Rome, La Salamandre, ouvrage bilingue, p. 32-55).

[4] Voruz, Véronique, La psychose civilisationnelle normale, intervention au courtil, 29 mars 2022, accès possible en ligne : https://www.courtilpro.be/courtilenlignes/index.php/revue/article/27-dans-l-atelier/rencontre/la-psychose-civilisationnelle-normale

[5] J.-A. Miller, Une fantaisie, cf supra

[6] Subjectivités dans l’époque, Rivages, Bulletin de l’Association de la Cause freudienne en Estérel-Côte-d’Azur, numéro 29, octobre 2022, p.26

[7] J Lacan, Allocution sur les psychoses de l’enfant, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 364.

[8] Argument de Pipol 10

[9] J.-A. Miller, Une fantaisie, cfr supra

[10] Idem.

Calendrier

Le 28 mars 2024 de 09:00 à 15:30

Localisation

Maison des Associations Internationales, 40, rue Washington, 1050, Ixelles Belgique

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